ALEXANDRE ROCCO
COFONDATEUR, SHIFT CONSULTING
En tant que jeune homme fasciné par les possibilités du numérique et de la Toile, Alexandre Rocco s’imaginait bien en extraire la substantifique moelle : « À l’époque, chacun voyait en Internet un espace d’expérimentations infini. Le passionné d’innovation que je suis ne pouvait que s’y engouffrer. »
Depuis 2013 et son lancement en partant de zéro, il mobilise tout son panache pour Shift, sa société de conseil en transformation digitale des
entreprises. À travers les différentes phases d’hypercroissance, Alexandre a su rallier plusieurs secteurs à son expertise ; pharmaceutique, bancaire, industriel ou transport sont autant de domaines sollicitant les cent-cinquante « Shift’ers ». Données, processus, organisation et technologies, ils n’ont pas leurs pareils pour analyser les besoins clients. En alignant ceux-ci aux contraintes, les équipes assument leur vocation de catalyseur de l’innovation digitale. De cette vocation naissent les activités de Shift : cadrage, pilotage, mais aussi adoption par les utilisateurs, et optimisation de la gouvernance des projets numériques. Le style des Shift’ers est à l’opposé du normatif, d’un panel de sachants ; il anime la relation par le collaboratif, il se fait inspirant : « À l’échelle où opèrent nos grands comptes, la performance est intrinsèquement liée à leurs multiples systèmes d’information. Notre rôle est précisément d’apaiser les professionnels des métiers qui peuvent être stressés par cette complexité, par toutes ces innovations technologiques, ou encore par la conduite du changement. » Si tout dans le quotidien d’Alexandre, respire à présent le numérique, sa jeunesse en Lorraine était plutôt abreuvée de « codes assez rustiques. »
Issu d’un terreau simple de familles travaillant autant la terre que sous terre, le jeune curieux se connectera à une tout autre culture ; avec en point d’orgue, danse classique et musique au Conservatoire National de Metz. Interprétant le premier rôle dans le ballet L’Enfant et les Sortilèges du compositeur Maurice Ravel, il intègre très tôt un sens de la discipline et fait preuve d’une « grande souplesse ». Une belle odyssée sur les planches lui trottait dans la tête, le jeune homme privilégiera toutefois ses études aux entrechats ; ce qui ne l’empêchera pas de jouer au trouble-fête. Au lycée, il ira jusqu’à canarder le journal dont il était pourtant le fondateur en éditant clandestinement une feuille de chou pamphlétaire : « Pour l’imprimer, on détournait la photocopieuse du proviseur, et dans nos colonnes, on s’attaquait sans concession à notre propre production, au nom de l’esprit critique et du paradoxe. Pour ne rien gâcher, le pamphlet se vendait beaucoup mieux que l’original ! » Malgré son goût du risque, il se glissera dans une voie jugée plus conformiste : bac C, prépa, grande école de commerce lui feront étendre sa carte de visite. Alexandre savait pourtant que son côté « impromptu et éruptif » allait rejaillir par la suite.
Commençant stagiaire au siège du groupe Casino à Saint-Étienne, Alexandre évolue au gré de ses postes dans des sociétés de renom, tout en naviguant en « marge des modèles ». Directeur commercial et marketing au sein d’un mastodonte de la téléphonie et de l’Internet, il fera tout pour remettre les compteurs d’un service de quatre-cent-cinquante personnes dans le vert. Ciselant un plan de relance audacieux, il contribue à repositionner l’offre, à redynamiser le collectif. Malgré les efforts déployés et les résultats très positifs, sa direction choisit de soutenir le cours de Bourse du groupe, gèle les investissements et impose de drastiques coupes budgétaires qu’il exécute « en bon petit soldat ». Quand sera organisée une casse sociale en contradiction avec la performance de son périmètre, le réveil est douloureux mais s’accompagne d’un objectif net : « Pour respecter le temps long d’une stratégie performante, mais aussi pour garantir que certaines lignes rouges comportementales ne soient pas franchies, il faut maîtriser le capital. »
Ainsi, Alexandre se lance dans l’entrepreneuriat ; rompu aux solutions de digitalisation, confiant dans sa capacité à impulser et à fédérer, il lance Shift avec trois associés : « On avait déjà une épaisseur, un historique. 2 Il nous fallait convaincre les futurs clients et de premiers salariés aventureux. Plus important encore, sortir du paradigme où nous avions auparavant gravité pour choisir nos propres contraintes. » Pour concrétiser son besoin de liberté viscéral, et avec la certitude de pouvoir mener à terme ses ambitions, l’entrepreneur buta sur quelques habitudes qui ont la vie dure : planning ponctué de réunions trop cadrées, insuffisance de présence terrain et de vélocité. Au bout de six mois, Alexandre fait table rase de tout cela et opère un pivot radical ; fervent adepte du pas de côté, le dirigeant promeut l’agilité et les initiatives intrapreneuriales. Peu importe si trois jeunes Shift’ers développent un logiciel parallèle sur leurs horaires de bureau et contactent des prospects sous les radars, Alexandre tient à ce que Shift fonctionne sur le principe du laboratoire : « Quand j’ai eu vent de leurs travaux, j’ai directement créé une entité ad hoc et je les ai mis à la tête avec tous les moyens. En dix ans, nous avons déjà pu faire naître cinq projets intrapreneuriaux de taille avec cette méthode ! »
Parce qu’Alexandre a voulu que Shift soit iconoclaste jusque dans ses statuts de Société à Mission, il implique ses salariés dans l’actionnariat, et même ses clients, fournisseurs, collaborateurs et anciens collaborateurs dans la gouvernance. La présidence du Comité de Mission est ainsi attribuée à l’issue d’une élection sans candidat : « L’une de nos clientes a accepté ce mandat malgré la surprise, puisqu’évidemment, elle ne s’attendait absolument pas à être élue ! Cela pourrait paraître ubuesque, mais c’est de cette manière que l’on fait émerger des voix différentes, que l’on développe un puissant collectif de travail, ou que l’on co-designe la suite de notre projet entrepreneurial. » Shift a donc fini par se tailler du Crayon pour l’ancienne demeure du pasteur de Lyon datant du XIXe, avec ses toiles de peintre et son vaste parc – « une maison qui nous ressemble. » Maison qu’il quitte de temps à autre, pour retrouver ses pairs du Cercle Pépites, croiser les réflexions, les inspirations et les respirations : « C’est aussi grâce à eux que Shift continue d’être une matière brute en transformation ! » Épris des arts comme des grands espaces, Alexandre n’hésite jamais à s’écarter des cartes pour rejoindre une destination qu’il ne connaît pas forcément, s’arrêtant volontiers pour mirer « des lignes d’horizon bosselées de vagues ou hachurées de montagnes. » Que ce soit sur les contreforts de l’Himalaya, aux îles Galápagos, ou dans un quotidien qui le fait sans cesse pousser l’innovation digitale au stade d’après, son sac à dos pour l’escapade est toujours prêt.
Entreprendre ?
Cela a été pour moi une rencontre amoureuse sur le tard, une révélation heureuse ! Par le partage en toute sincérité d’une vision, d’un engagement, l’entrepreneuriat, c’est aussi et surtout la faculté de créer de la valeur hors cadre.