SACHA STOJANOVIC

PRÉSIDENT FONDATEUR, MEANWHILE

Il a beau être un visionnaire du type fantasque, quand il s’agit d’automates, Sacha Stojanovic ne badine pas avec les mots ; à quiconque décrirait Goldorak comme un robot, il rectifierait immédiatement le propos : « C’est une erreur classique, mais Goldorak n’est pas automoteur, il est piloté par Actarus. Or, pour qualifier un robot, le côté autonome est fondamental ! » Tout « dinosaure geek » qu’il se revendique, ses connaissances encyclopédiques vont bien au-delà des goodies et des figurines en plastique ; sa prédilection pour la robotique, il l’a concrétisée en fondant l’entreprise Meanwhile. Depuis 2017, avec son équipe d’une vingtaine d’experts, ils conçoivent et fabriquent des engins truffés de capteurs, animés par un algorithme complexe qui les rend capables de se mouvoir librement dans l’espace, de comprendre les signalétiques, de prendre l’ascenseur, de franchir des portes automatiques. Décliné en une dizaine de gammes, chacun de ces robots possède son propre usage : il y a celui qui convoie du matériel médical, celui qui transporte des wafers pour faciliter la fabrication de microcontrôleurs, celui qui soulage les serveurs d’un restaurant d’entreprises en apportant des plateaux repas, et tous les concepts-bots qui impriment le chemin pour les robots de demain. Sacha s’assure que ses engins demeurent raccord avec ses principes, ceux-là même qu’il a érigés tout au long de sa vie en prenant soin d’écouter la vision de ses proches sur l’avenir de l’humanité, sur ce monde qu’il transmet à ses filles Laurine et Maëlle. Ainsi, que ce soit en milieu médical, dans un atelier de microélectronique ou dans les établissements recevant du public, charge aux robots d’assurer les besognes pénibles, répétitives à outrance, car « pendant ce temps-là » – meanwhile en anglais –, l’humain a les coudées franches : « Il s’agit de rester prudent avec la robotisation. Ayant creusé le sujet en profondeur, cela m’a amené naturellement à me poser des questions sur le concept de singularité technologique. En fait, l’innovation n’a lieu d’être qu’à la condition qu’elle soit au service de l’être. Comme disait Rabelais : “science sans conscience n’est que ruine de l’âme”. »

Cette ancienne Yougoslavie d’où viennent ses parents, Sacha n’en a gardé que quelques souvenirs évanescents ; son père comptable et sa mère chimiste ont tout fait pour matérialiser en France leur « rêve américain ». Déjà dans sa prime jeunesse en région auxerroise, le « gamin chétif » se distinguait par son appétence pour les équations, les cosinus et les variables, quitte à susciter au passage les quolibets de ses camarades jalousant sa calculatrice programmable – « j’étais le seul à en avoir une ! Un cours de maths, pour moi, c’était encore mieux que la récré. » Bidouillant et codant sur son Commodore 64 à une époque où l’informatique domestique tenait presque de l’ésotérique, c’est au lycée que Sacha eut le déclic pour la robotique. Tout tient à ce moment suspendu dans le temps, quand son professeur retira le drap sur ce bras manipulateur 3D Schrader PB15, et que la machine s’en alla saisir une canette de soda. La fascination fut telle que la voie professionnelle de Sacha s’éclaira d’elle-même. Dans la foulée de son DUT en génie électrique et informatique industriel, Sacha candidate à un premier poste avec tout son panache, survendant quelque peu ses aptitudes in English : « Le patron m’avait demandé si je maîtrisais la langue, ce à quoi j’avais rétorqué : “sure !”. Cela s’est retourné contre moi, car j’ai immédiatement été envoyé en Finlande pour installer des robots de peinture dans une usine automobile. ! Il a bien fallu que j’apprenne sur place. » Après une période de salariat, Sacha se sent des poussées entrepreneuriales et monte sa première société baptisée Eperluète. Spécialisée dans l’étude et la formation en robotique, l’affaire fondée en 1999 connaîtra son petit succès jusqu’à sa revente, sept ans plus tard. Officiant dans plusieurs groupes en tant que business developper, Sacha vivra son changement de branche comme un coup de bambou lorsque son dernier employeur décidera de stopper totalement l’activité robotique au profit de la cybersécurité : « Le métier devenait enfin hype, forcément, c’était frustrant ! Comme si j’attendais pendant vingt ans qu’une soirée démarre, et que lorsque le DJ arrive, on m’enjoint de rentrer chez moi ! » Dont acte ! Sacha prend ses cliques et ses claques, réactive cette idée soufflée autrefois par sa femme infirmière, et qu’il gardait en jachère. Créer un robot qui l’aiderait à transporter le matériel dans les couloirs de l’hôpital : « J’ai ruminé cette idée pendant 2 de nombreuses années, et là, toutes les conditions de faisabilité étaient finalement réunies. » Au gré de ses recherches et de ses mises en relations, il rencontre des investisseurs séduits par sa solution, découvre des briques technologiques parfaitement taillées pour ses futures applications – « un algorithme implanté dans une simple boîte à chaussures, qui la rend capable de naviguer de façon autonome dans l’environnement ! » Dans l’intervalle, toujours soucieux d’enrichir son érudition, il retourne sur les bancs de l’école à Sciences Po Paris pour suivre un mastère spécialisé « Digital Humanities » : « Ce programme m’a aidé à comprendre pourquoi je voulais créer Meanwhile, car finalement, l’intelligence artificielle est à l’informatique ce que l’intuition est à l’Homme. »

Six mois à peine après le dépôt des statuts, et alors qu’il arrive à l’aube de ses cinquante ans, Sacha et son équipe mettent au point leur premier robot qui investit une entreprise automobile, en lui donnant des airs de futur. Le premier d’une longue séquence de réussites ; bien vite, Sacha pressent que Meanwhile a tout le potentiel d’une pépite. Au gré de sa croissance, la société accueille de nouveaux talents, développe des partenariats, s’ouvre à l’international, tout en participant à intégrer le robot dans la société de demain : « Ma grande fierté, c’est d’arriver à faire grandir une entreprise spécialisée dans le hardware dans un monde où la majorité des investissements se font dans le software. » Sur un mode quasi artisanal, il continue de fabriquer ses robots en petites séries, prenant garde à ce qu’ils ne dévient pas d’un iota de sa philosophie : « Leur but n’est surtout pas de supplanter les liens humains, alors quand j’ai des prospects qui me demandent d’automatiser des entrepôts entiers au détriment de l’emploi, je refuse systématiquement. » Volontiers esthète à ses heures, non content de baptiser certains robots du nom de grands auteurs – « j’aime Antoine de Saint-Exupéry pour ce rapport à l’exploration » –, Sacha a coécrit un ouvrage caritatif sur l’histoire de la robotique pour le centenaire de cette science : « Ce livre se veut notamment un hommage à la pièce R.U.R des frères Čapek, une œuvre majeure où apparaît pour la toute première fois le terme “robot”, en 1920. » Car derrière « l’hurluberlu » qui a enchanté la Fête des Lumières avec son spectacle Roboticum, Sacha est surtout ce passionné de disciplines qui se décline tour à tour artiste, écrivain ou membre de structures potassant sur l’intelligence artificielle. Mais qu’importe la casquette, il persistera toujours en-dessous le même gamin rêveur, celui qui reste fidèle à son programme : « Partir dans la forêt pour y construire des cabanes. »

portrait sacha stojanovic

Entreprendre ?

C’est avoir la curiosité d’un mousse qui accompagne Christophe Colomb pour rejoindre les Indes en empruntant une nouvelle voie, et finalement découvrir l’Amérique. Cela a toujours été un peu un fantasme, je vis l’entrepreneuriat avec une âme d’aventurier !

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